Le 9 avril, le collectif Éthique sur l’étiquette, l’ONG Sherpa, l’Institut Ouïghour d’Europe ainsi qu’une Ouïghoure rescapée des camps ont porté plainte en France contre des multinationales de l’habillement accusées de tirer profit du travail forcé imposé à la minorité ouïghoure dans les champs de coton du Xinjiang, en Chine. Parmi les enseignes visées : Zara, Uniqlo, Sandro, Maje, Skechers… À quoi pourrait mener cette action en justice ? Nayla Ajaltouni, coordinatrice du collectif Éthique sur l’étiquette, nous répond.
[Texte : Sophie Kloetzli. Visuel : Collectif Ethique sur l'étiquette]
Qu’attendez-vous de cette action en justice ?
Nous attendons que la justice s’en saisisse. Nous avons suffisamment de preuves concordantes qui mériteraient qu’elle se penche sur l’implication de ces quatre sociétés transnationales [Inditex, qui détient Zara, Bershka et Massimo Dutti, SMCP (Sandro, Maje, de Fursac…), Uniqlo et Skechers, ndlr] et plus largement de toutes les enseignes du secteur qui auraient des liens commerciaux dans la région et qui seraient donc complices du travail forcé des Ouïghours. Cette plainte fait partie de notre travail de fond contre l’impunité des sociétés qui en profitent pour faire du profit à l’international.
Représailles en #Chine contre les marques et enseignes d'#habillement : nous appelons les multinationales du secteur à ne pas troquer les droits fondamentaux contre un accès au marché#EndUyghurForcedLabour #devoirdevigilance
— Collectif ESE (@Collectif_ESE) March 26, 2021
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Quel degré de certitude a-t-on aujourd’hui quant au travail forcé des Ouïghours ?
À ce stade, le dépôt de plainte rassemble des preuves et des documents existants publiés notamment par l’Australian Strategic Policy Institute (ASPI) et le Workers Rights Consortium (WRC) aux États-Unis. Il s’agit de données suffisamment sérieuses pour que l’on demande à la justice de se pencher sur le sujet.
« Nous avons monté une coalition internationale de 300 organisations qui s’appelle End Uyghur Forced Labour, et nous demandons aux enseignes de signer un appel à se désengager du Xinjiang ».
Les marques concernées par la plainte ont-elles réagi ?
Non, en tout cas pas directement auprès de nous.
Ces derniers mois, plusieurs enseignes dont H&M et Nike ont annoncé qu’elles arrêtaient de s’approvisionner en coton dans le Xinjiang. A-t-on les moyens aujourd’hui de vérifier de telles affirmations ?
Nous ne prenons pas pour argent comptant les déclarations des enseignes. Les marques réagissent à travers le réseaux sociaux et non pas auprès de personnes qui auraient les moyens de vérifier la véracité et le sérieux de leurs engagements. Nous avons monté une coalition internationale de 300 organisations qui s’appelle « End Uyghur Forced Labour », et nous demandons aux enseignes de signer un appel à se désengager du Xinjiang. Nous leur demandons de nous montrer comment elles l’ont fait, comment elles ont communiqué auprès de leurs fournisseurs, comment elles ont cartographié leur chaîne de valeur... À ce jour, très peu de marques ont accepté de le signer. Parmi les grandes enseignes qui font la différence, il y a Marks & Spencer. Quant aux autres enseignes qui ont indiqué soit ne pas se fournir au Xinjiang soit ne pas avoir de liens commerciaux, il s’agit pour nous d’informations non certifiées, non étayées.
Quelles sont les prochaines actions ou étapes à venir pour responsabiliser les entreprises ?
En ce moment, nous soutenons la directive en négociation sur le devoir de vigilance en Europe. Le Parlement européen a adopté le rapport d’initiative qui donne des recommandations. Nous nous tournons à présent vers la Commission et le Conseil européen pour qu’ils rédigent une directive qui ne soit pas édulcorée et qui rende juridiquement responsables les multinationales lorsqu’elles violent les droits fondamentaux, y compris via leurs fournisseurs et sous-traitants. Nous continuons aussi notre mobilisation citoyenne sur les réseaux sociaux, qui est pour nous une arme centrale d’interpellation.