Traiteurs chinois : sous la vitrine, une cuisine familiale en héritage

Par Weilian Zhu
Photo de Emeric Fohlen

Dans un milieu peu loquace, certains traiteurs chinois ont accepté de nous parler de leur parcours, de leur métier, faisant ainsi tomber certains clichés.

En poussant la porte de la boutique, tous les clients sont accueillis par la même question : « À emporter ou sur place ? » Les yeux sont rivés sur la vitrine garnie de bacs en inox où se présentent les classiques poulet à l’aigre douce, riz cantonais, bœuf au basilic ou crevettes à la sauce piquante. Sur l’étagère au mur sont disposés deux micro-ondes et un empilement de barquettes en plastique. A priori, un lieu typique de la restauration rapide et des plats vendus au poids, conditionnés sous vide et emportés à la va-vite.

 

Tout y est préparé par les soins du père de Chanline Taing, aux fourneaux depuis 1999.

 

Mais Aux Délices de Bercy, un traiteur du XIIe arrondissement de Paris, en plus de mets cuisinés à l’avance caractéristiques de ce type de restauration rapide, le client peut aussi commander des plats « préparés à la minute » indique Chanline Taing. « On est dans un format hybride entre le restaurant et le traiteur », décrit la gérante de 34 ans.

 


Le père de Chanline Taing prépare des beignets dans la cuisine du restaurant, à Paris.

 

Derrière le comptoir, une porte donne sur la cuisine. Tout y est préparé par les soins du père de Chanline Taing, aux fourneaux depuis 1999. Sur le plan de travail, la farce tout juste sortie du frigo jouxte des galettes de riz, dans l’attente d’être roulées puis plongées dans un bain d’huile. « Même nos nems sont faits maison, ce qui est très rare chez un traiteur », précise-t-elle. Leurs irrégularités sont en effet des indices de l’origine artisanale des nems, contrairement à ceux congelés et vendus en sachet par l’entreprise Hoa Nam. Un million de ces petits rouleaux frits sortent en effet chaque mois de son usine située à Ivry-sur-Seine.

 

Les machines à rouler des nems dans l’usine agroalimentaire de l’entreprise HOA NAM, à Ivry-sur-Seine.

 

L’entreprise est la première en Europe à produire des nems à grande échelle. Autrefois roulé à la main par des ouvrières, ce produit incontournable des traiteurs est désormais fabriqué entièrement à la machine. Parmi ses 400 clients, 20 à 30 % sont des traiteurs. « Nous proposons une viande 100 % française et avons maintenu notre production en France », explique son directeur Philippe Chiew. Comme Chanline Taing, l’entrepreneur trentenaire est issu d’une famille d’ascendance chinoise ayant fui le génocide cambodgien.

 

Cette première génération a souvent choisi par défaut le commerce de bouche pour survivre.

 

Cette première génération a souvent choisi par défaut le commerce de bouche pour survivre. Arrivés entre les années 1970 et 1990 de Wenzhou (est de la Chine), de Canton (sud-est de la Chine) et de l’Asie du Sud-Est, beaucoup n’avaient aucune compétence en cuisine, expliquant ainsi la similitude des plats proposés. Ces derniers sont un reflet de leurs parcours migratoires, où se côtoient nems vietnamiens et riz cantonais, ainsi que des plats inexistants en Asie adaptés au palais des Français. Certains traiteurs se sont toutefois orientés vers une clientèle d’immigrés, offrant une cuisine familiale à emporter, comme le concept du he fan ou « nourriture en boîte » toujours en vigueur à la Cantine chinoise de Belleville.

 


Portrait de Albert et Juliette Lin qui ont repris le restaurant familial de la cantine chinoise à Belleville.

 

Ce traiteur restaurant a ouvert en 1999 grâce au père d’Albert Lin, originaire de Wenzhou, déjà cuisinier en Chine. « Tout est fait maison ici, précise Albert Lin. Les plats chez un traiteur sont toujours faits sur place mis à part peut-être les bouchées à la vapeur ou les nems qui peuvent être fabriqués industriellement. C’est en jouant sur le coût de la main d’œuvre et en cuisinant nous-mêmes que l’on peut proposer des prix compétitifs. » Dans sa vitrine, les plats n’ont pas changé depuis 25 ans et les recettes sont identiques à celles imaginées par son papa. « On met très peu de glutamate car on fait mariner nos produits longtemps pour leur donner du goût, ajoute-t-il. Mettre beaucoup de glutamate, c’est un peu le choix de la facilité pour rendre les plats savoureux. D’ailleurs, nos clients, notamment chinois, nous demandent d’en mettre moins. »

 

« Tout est fait maison iciLes plats chez un traiteur sont toujours faits sur place mis à part peut-être les bouchées à la vapeur ou les nems qui peuvent être fabriqués industriellement. »

 

Aux Délices de Bercy, Chanline Taing prend le temps de papoter avec ses clients, pour certains fidèles depuis 20 ans, devenus au fil du temps plus exigeants et plus curieux de nouveautés, au gré de leurs voyages en Asie. « On a un vrai lien avec le quartier, on se sent chez nous », explique-t-elle. 

 


Portrait de Chanline Taing qui repris le restaurant familiale Aux delices de Bercy ouvert par son père dans les années 90 à Paris.

 

Initialement positionnée sur l’offre de traiteur, la boutique a évolué avec les demandes des clients qui voulaient, le temps d’un dîner, goûter à des plats sur commande. « Je n‘ai pas une idée péjorative du traiteur, ça dépend du processus de chacun », raconte-t-elle. Dans son menu, on peut désormais boire du café vietnamien, une boisson qui coule lentement à travers un filtre posé sur la tasse. Comme un contre-pied à l’image classique du traiteur chez qui l’on ne s’attarde pas.


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