Tomy Gousset : « Je ne me donne aucune limite dans mes recettes »

Par Sophie Kloetzli

Né de parents cambodgiens, rien ne prédestinait Tomy Gousset à devenir l’un des emblèmes de la gastronomie parisienne. Et pourtant, à 37 ans, celui qui s’est formé auprès d’Alain Solivérès, Yannick Alléno et Daniel Boulud affiche désormais une impressionnante carrière dans des établissements de renommée mondiale. Épris de liberté, ce chef tatoué a monté il y a un an son propre restaurant à Paris : Tomy & Co. Il y cultive une gastronomie créative et abordable, d’une simplicité raffinée, rappelant par touches subtiles les saveurs asiatiques de son enfance. Rencontre avec un chef peu conventionnel.
[Texte : Sophie Kloetzli. Photo : Guillaume Lechat]

Qu’est-ce qui vous a poussé à vous lancer dans la gastronomie ?

J’ai découvert la cuisine plus tard que les autres, à vingt-deux ans. J’ai grandi à Lognes, dans le 77 (Seine-et-Marne), et la gastronomie n’était pas forcément dans ma culture. J’ai commencé des études en école de commerce et puis un jour, j’ai vu un reportage sur Ferrandi [Prestigieux établissement parisien qui forme les plus grands chefs, ndlr] et j’ai su que c’était pour moi. J’aspirais sans doute plus à un métier manuel. J’ai fait une année de remise à niveau à Ferrandi pendant laquelle un prof de cuisine a dit quelque chose qui m’a marqué : « Je fais de la cuisine pour créer de mes propres mains et pour faire plaisir aux gens ». J’ai persévéré et à force de travail, on réussit. Je ne suis ni Japonais, ni Coréen. Nous, les Asiatiques du sud et du sud-est, nous ne sommes pas nombreux dans la gastronomie. Il a fallu que je me batte plus que les autres pour réussir. C’était une motivation de me dire que je pouvais être aussi bon qu’un chef qui vient de n’importe où en France.

À quoi ressemblait votre vie de cuisinier dans les grands restaurants où vous avez travaillé ?

Je suis entré au Taillevent en 2004, chez Alain Solivérès, qui est devenu l’un de mes pères spirituels et un ami. C’est un restaurant étoilé, classique, très haut de gamme. C’était vraiment l’armée ! J’y ai appris la rigueur. Ensuite, j’ai rejoint le Meurice (trois étoiles) pendant quatre ans, auprès de Yannick Alléno, où j’ai affiné ma technique et appris à travailler avec les meilleurs produits. J’étais un simple numéro, perdu dans une énorme cuisine où travaillaient des gens tous plus talentueux les uns que les autres. Je suis arrivé commis et progressivement j’ai gravi les échelons, jusqu’à obtenir le poste de chef de partie. J’aurais pu devenir sous-chef, mais pour cela il aurait fallu rester encore deux ans, alors j’ai préféré m’en aller.

« C’était important que ma cuisine touche des gens comme moi, des gens du 77, de la banlieue, des Asiatiques, pour qu’ils se disent que cette cuisine est faite pour eux aussi »

Vous avez ensuite passé deux ans à New York, chez Daniel Boulud. En quoi la gastronomie diffère-t-elle là-bas ?

J’y ai appris l’organisation à l’américaine : trois services chaque soir (17h30, 19h30 et 21h30), c’était très dur. Tu viens comme un numéro, tu fais ton travail et tu pars. On travaille davantage dans l’anticipation. En conséquence, la cuisine était un peu moins pointue qu’en France, où nous faisons moins de couverts. En revanche les Américains sont très forts pour le show et l’organisation d’événements, et pour un restaurant français classique trois étoiles à l’étranger, c’était très bien. New-York est une ville très cosmopolite : toutes les cuisines du monde y sont représentées, c’est impressionnant. À vrai dire, je n’avais pas très envie de revenir en France, mais ma copine, Constance, qui est aujourd’hui ma femme, m’a convaincu qu’il y avait des choses à faire à Paris.

Après New York, vous avez pris la tête des cuisines du bistro Pirouette dans le quartier des Halles à Paris. Pourquoi vous êtes-vous éloigné des grands restaurants étoilés dont vous aviez l’habitude ?

J’avais besoin de m’exprimer, de faire quelque chose pour moi, de trouver mon style. Pirouette m’a attiré parce qu’on y faisait une cuisine assez simple, avec des prix attractifs, où je pouvais faire preuve de créativité. Il était important pour moi que ma cuisine touche des gens comme moi, des gens du 77, de la banlieue, des Asiatiques, pour qu’ils se disent que cette cuisine est faite pour eux aussi. J’y suis resté quatre ans avec mon second, Jérôme Favan, qui travaille encore avec moi aujourd’hui.

Quelle est la philosophie de Tomy & Co, le restaurant que vous avez ouvert l’année dernière ?

Il n’y a pas vraiment de ligne de conduite. En ouvrant mon propre restaurant, j’aspirais à la liberté et à la créativité. Ce qui m’aide avec mes origines asiatiques, c’est que dans la cuisine française que je propose, je ne me donne aucune limite dans les recettes. Je fais beaucoup de clins d’oeil à la cuisine asiatique, mais de façon très subtile, en ajoutant par exemple de la coriandre, de la citronnelle ou du sucre de canne du Cambodge. J’aime aussi retravailler et sublimer des produits pas très chers mais que les gens ne connaissent pas forcément, comme une tête de veau, ou encore la langue de boeuf, que je proposais un moment donné sous forme de fine tartelette. Tous les mois, la carte change, parce que j’adapte le menu en fonction de la saison. J’ai une parcelle à Fontainebleau que nous partageons avec des chefs de Paris, où nous cultivons des légumes tout au long de l’année. Deux fois par semaine, le maraîcher m’envoie une liste d’éléments que nous avons décidé de planter. Cela me permet de proposer au client les meilleurs produits, récoltés le matin même.

Quelle personne vous a particulièrement inspiré dans votre manière de cuisiner ?

Même si elle ne cuisinait pas français, ma mère m’a beaucoup inspiré. Je suis issu d’une famille de sept enfants, avec une mère au foyer dont le métier était pratiquement la cuisine. Cet amour du partage me vient d’elle. Encore aujourd’hui, quand je retourne chez mes parents et que je veux l’aider, elle refuse, car elle dit qu’elle n’a plus rien à faire sinon, et que la cuisine asiatique n’est pas ma spécialité ! Ça permet de rester humble.

À quoi ressemble votre assiette idéale ?

Elle est composée de produits simples, surtout pas une assiette gastronomique ! Des gnocchis réchauffés avec un bouillon de volaille réduit, des truffes noires et du parmesan, par exemple. Ce que j’aime faire, c’est associer un produit simple avec un produit noble.

Qu’est-ce que vous mangez quand vous rentrez chez vous, après une longue journée ?

Je mange plutôt asiatique, toujours des choses très simples, dans les restaurants du coin. Du riz sauté avec de la coriandre, des épices, ou du poulet grillé à la citronnelle. Je cuisine rarement chez moi, ça me rappelle trop le boulot !

Quelles saveurs prévoyez-vous pour les fêtes de Noël ?

La truffe noire va arriver ; un produit d’excellence en hiver. Il y aura aussi des champignons, des légumes terreux du potager, des navets, des betteraves, de la tête de veau, des veloutés... 

Tomy Gousset

Tomy Gousset en quelques dates

- 1980 -

Naissance à Mantes-la-Jolie, de deux parents cambodgiens. Tomy Gousset grandit ensuite à Lognes (Seine-et-Marne) dans une famille de sept enfants, bercés par des saveurs qui émanent de la cuisine maternelle. Dans la famille, malgré la renommée de son fils, la mère de Tomy Gousset reste l’experte en matière de cuisine asiatique.

- 2002 -

Étudiant en école de commerce, il tombe par hasard sur un reportage consacré à Ferrandi, la prestigieuse école de gastronomie à Paris. Une vocation est née : il entre très vite dans cet établissement réputé où il fait ses premières armes.

- 2004 -

Il intègre Taillevent (alors trois étoiles au guide Michelin), un restaurant gastronomique non loin des Champs-Elysées, où il apprend la rigueur et la discipline. Du célèbre chef Alain Solivérès, qui devient son mentor, il retient la devise : « La vraie cuisine est faite de simplicité ».

- 2006 -

Tomy Gousset rejoint le Meurice, un palace parisien situé rue de Rivoli, où il gravit les échelons jusqu’au poste de chef de partie. Pendant ces quatre années, il affine sa technique auprès de Yannick Alléno, qui décroche deux étoiles en 2004 puis une troisième en 2007.

- 2010 -

Départ pour New York, où il travaille pendant deux ans chez Daniel Boulud, dans un restaurant français triplement étoilé de l’Upper East Side. Il tombe sous le charme de cette ville cosmopolite qui rassemble toutes les cuisines du monde.

- 2012 -

Retour à Paris, avec la volonté de trouver et d’exprimer son propre style. Il prend la tête des cuisines du bistro Pirouette dans le quartier des Halles, où il mêle avec délicatesse son expérience étoilée à la cuisine de bistro traditionnelle.

- 2016 -

Ouverture de son propre restaurant rue Surcouf, dans le 7ème arrondissement de Paris, qu’il baptise Tomy & Co, en référence à sa femme, Constance, et à ses fidèles collaborateurs. Sa particularité ? Des recettes qui retravaillent des classiques de la cuisine française pour leur apporter une petite touche de fraîcheur, et pourquoi pas de petits clins d’oeil à ses origines cambodgiennes.

Cet article a été publié dans Koï #2.


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