Avec Em (éd. Liana Levi), paru le 11 mars, l'écrivaine québécoise d'origine vietnamienne signe un nouveau roman intime et bouleversant sur la guerre du Vietnam vue de l'intérieur, entre faits historiques méconnus et histoires d'amour.
[Texte : Sophie Kloetzli. Photo : Martin Girard]
En vietnamien, « em » — homonyme d’ « aime » — sert à dire sa tendresse pour l’autre. Dans le roman de Kim Thúy, c'est aussi le surnom donné à une nouveau-née abandonnée dans un carton dans un square de Saigon. Louis, orphelin métis dont le père était soldat américain, prendra soin d'elle jusqu’à ce qu’ils soient séparés lors de l’opération « Babylift » — durant laquelle des milliers d’enfants de GI’s sont envoyés aux États-Unis pour l’adoption en 1975 — avant de se retrouver des années plus tard… Un épisode peu connu de la guerre du Vietnam parmi tant d’autres que l’autrice canadienne égrène dans cet ouvrage aussi dur qu’émouvant, succession de petites histoires racontant le quotidien du conflit. Interview.
Quel est le point de départ de ce roman ?
L’idée vient d’une photo que j’ai vue d’une petite fille qui dormait dans une boîte en carton et à côté un garçon couché à même le sol. Les deux dormaient et le garçon tenait la main de la petite fille. J’étais curieuse de savoir qui étaient ces enfants. Cette photo a gagné des prix aux États-Unis, et j’ai pu retracer l’histoire de la petite fille qui a été adoptée par une famille aux États-Unis et qui est devenue une haut gradée dans l’armée américaine. La question qui m’est venue en tête était : qui était le petit garçon et où est-il aujourd’hui ?
Souhaitez-vous donner un autre point de vue sur la guerre du Vietnam ?
Vous savez, la guerre du Vietnam est appelée guerre du Vietnam à l'extérieur du Vietnam mais quand vous êtes à l’intérieur du Vietnam, on parle plutôt de la « guerre américaine ». Je ne sais jamais comment l’appeler. Et cette guerre-là a duré vingt ans. Donc il y a combien de milliers, ou plutôt de millions, d’histoires qui sont nées… Je n'aurais pas assez d'une vie pour écrire sur cette guerre.
Dans les archives américaines, « on peut lire noir sur blanc qu'on devait continuer la guerre du Vietnam 10% pour soutenir la démocratie, 10% pour soutenir le Vietnam du Sud et 80% pour éviter l’humiliation... »
Ce roman est-il une quête de vérité ?
En cherchant, je suis tombée sur des documents et des témoignages qui n'existaient pas avant, il y a dix ans par exemple, parce que c’était de la documentation confidentielle dans les archives américaines. Aujourd'hui, cinquante ou soixante ans plus tard, on commence à avoir accès à ces documents. On peut y lire noir sur blanc qu’on devait continuer la guerre du Vietnam 10% pour soutenir la démocratie, 10% pour soutenir le Vietnam du Sud et 80% pour éviter l’humiliation...
J’ai l’impression qu’on va perdre des pages de cette histoire parce que les gens de cette génération commencent à mourir et donc si on n’archive pas on n’aura pas leur histoire.
Pourquoi était-il important pour vous de porter un message d'amour ?
Je crois qu'il est important de se rappeler qu’on est capables de grandeur et de beauté, de bonté. On est aussi faits de générosité, et non pas seulement d’atrocité. Je me dis aussi que la beauté se voit ou se révèle encore plus dans la laideur. Les histoires d’amour sont beaucoup plus prenantes dans une zone de guerre que dans un pays en paix.