Montargis et les pionniers du Parti communiste chinois

Par Weilian Zhu
Photo de Emeric Fohlen

Alors que la Chine organise le XXe congrès du Parti communiste chinois (PCC), la légende raconte que sa fondation aurait eu lieu à Montargis. 

Un voyageur sort de la gare de Montargis. Hésitant, il se résout finalement à rejoindre le centre-ville à pied, téléphone à la main. La même scène à quelques détails près s'est sûrement produite 100 ans plus tôt, quand de jeunes Chinois sont descendus dans cette ville du Loiret pour la première fois. La gare est restée à peu près identique, avec ses grandes vitres en arcade et son toit en V inversé. Désormais, le train arrive en une heure depuis Paris au lieu de quatre. La place devant la gare a pris le nom de Deng Xiaoping. Successeur de Mao Zedong, il faisait partie des pionniers à avoir rêvé ici d'un avenir meilleur pour son pays.

 

Successeur de Mao Zedong, Deng Xiaoping faisait partie des pionniers à avoir rêvé ici d'un avenir meilleur pour son pays.

 

En effet, entre 1919 et 1920, Montargis a accueilli plus de 300 Chinois, à l’apogée du programme Travail-Études fondé par Li Shizeng. Ce fils d'un professeur à la cour impériale chinoise est arrivé quelques années plus tôt, en 1903, pour étudier l'agronomie et habitait au 31 rue Gambetta, une maison mitoyenne avec des persiennes bleues décrépies. Aujourd'hui, seule une plaque rappelle le passage de son ancien locataire. Durant ses études, Li Shizeng s’est noué d'amitié avec des anarchistes et a rejoint la franc-maçonnerie. Animé par l'envie de développer son pays, il a imaginé un concept d'éducation par l'enseignement scolaire et l'expérience ouvrière.

 

Monument du centenaire du mouvement Travail-Études
chinois installé sur la place Deng Xiaoping, à Montargis. 

 

VIE EN FRANCE
Les premiers étudiants arrivent à Montargis en 1913. Les garçons sont logés au collège public qui abrite maintenant la mairie. Les agents municipaux ont remplacé les va-et-vient des adolescents dans le grand escalier menant au dortoir du dernier étage. Sous le plafond en forme de coque de bateau, la mezzanine du surveillant domine toujours l'immense pièce, devenue salle de réception. Deng Xiaoping y a dormi. Sans doute se réveillait-il aux tintements de l'église Sainte-Madeleine, visible de la fenêtre. À l'apogée du programme en 1919, la plupart des étudiants affectés à Montargis est originaire du Hunan (sud du pays).

 

Mao Zedong et Cai Hesen (futur théoricien du PCC) seront moteurs dans le départ de nombreux jeunes vers la France, « flambeau de la civilisation ».

 

La province était en ébullition depuis le Mouvement du 4 mai et le Travail-Études trouve un vif écho auprès de Mao Zedong et Cai Hesen (futur théoricien du PCC), alors camarades de classe. Ils seront moteurs dans le départ de nombreux jeunes vers la France, « flambeau de la civilisation ». Fin 1919, Cai Hesen, alors âgé de 24 ans, embarque de Shanghaï avec sa petite sœur, sa mère et d'autres étudiants. Mao Zedong, lui, choisit de rester dans son pays pour mieux étudier la société chinoise.

Au cœur des Années folles, insouciantes et excentriques, on imagine l'étonnement de ces jeunes gens découvrant la « Venise du Gâtinais », où hôtels particuliers et maisons bourgeoises semblent bâtis les pieds dans l'eau. D'après l'ouvrage En quête de rêve à Montargis de Chen Hong (éd. de l'Écluse, 2019), « l'arrivée d'étudiants-ouvriers chinois apporte à Montargis un charme oriental atypique. Leur présence était appréciée par les habitants ». En marge des études, le groupe travaille à l'usine de caoutchouc d'Hutchinson de Châlette-sur-Loing. Le musée historique de l'Amitié franco-chinoise de Montargis conserve encore la carte d'embauche de Deng Xiaoping, âgé de 17 ans. Sur le papier jauni, quelques mots tracés à la plume : « a refusé de travailler, ne pas reprendre ». En 1985, alors à la tête de la République populaire de Chine, il déclare au ministre français des Relations extérieures Roland Dumas : « J'ai passé cinq ans et deux mois en France et j'ai travaillé près de quatre ans dans des usines. Je m'entendais bien avec les autres ouvriers. Mais les capitalistes de votre pays m'ont aussi appris une leçon [la condition ouvrière], qui a permis à notre groupe et à moi de nous engager sur la voie du communisme ». Après l'usine, il faisait souvent un crochet chez « Maman Cai Hesen », la matriarche du groupe qui réconfortait toute la communauté avec ses nouilles très épicées. Désormais, plus aucune effluve pimentée n’émerge du quartier.

 

Jardin Durzy où Cai Hesen et Xiang Jingyu ont exposé à leurs
compatriotes leurs thèses pour sauver la Chine et le monde.

 

JARDIN DE L'ÉVEIL
Très vite, Cai Hesen arrête les cours, trop superficiels à son goût. Il choisit d'apprendre le français en lisant des journaux de gauche avec un dictionnaire sur les genoux, assis au jardin Durzy. La découverte d'ouvrages comme le Manifeste du parti communiste est une révélation. Le jardin devient très vite le lieu de prédilection de tout le groupe. À l'ombre de séquoias géants, encore debout aujourd'hui, Cai Hesen partage des passages d'ouvrages qu'il avait traduits. Les débats fusent entre partisans anarchiques et soutiens au modèle russe. Subrepticement, l’histoire s’écrit. Il est entouré de camarades, hommes et femmes, parmi lesquels Xiang Jingyu, figure du féminisme au sein du parti communiste chinois qu’il épouse en France. Chen Yi, futur ministre des affaires étrangères, fait également partie de l'assistance, de même que le jeune Zhou Enlai, militant-journaliste à Paris. Amateur de tennis, il jouait avec des Montargois et a continué à leur envoyer du thé une fois devenu Premier ministre. En 2005, un mûrier blanc baptisé « Arbre de l’amitié franco-chinoise » a été inauguré à cet endroit par les descendants des pionniers.

Après cette « réunion de Montargis », Cai Hesen écrira à Mao Zedong : « J'ai récemment étudié les différents concepts et trouvé que le socialisme était le véritable remède pour transformer le monde actuel, y compris la Chine ».

De cette période de stimulation intellectuelle, une seule photo a été conservée. Wang Peiwen, directrice du musée historique de l'Amitié franco-chinoise, ne se lasse jamais de la regarder : « Elle est très moderne. Chaque attitude est différente. Certains ont les bras croisés, d'autres ignorent l'objectif. Les places sont désordonnées. Tous ont l'air déterminé ». Elle a de fait été prise à un moment crucial : du 6 au 10 juillet 1920, les étudiants se sont retrouvés dans le bassin pour débattre des solutions vers « la transformation de la Chine et du monde ». C'est après cette « réunion de Montargis » que Cai Hesen écrira à Mao Zedong : « J'ai récemment étudié les différents concepts et trouvé que le socialisme était le véritable remède pour transformer le monde actuel, y compris la Chine » et proposera « l'établissement formel d'un parti communiste chinois ». Après plusieurs tentatives avortées de réformes dans le Hunan, le Grand Timonier approuve ces propositions et bascule définitivement vers la voie révolutionnaire. « Le PCC a fêté cette année ses 100 ans mais la décision de sa création a été prise à Montargis en juillet 1920 », raconte fièrement Madame Wang.

 

Une sculpture de l'artiste Li Xiaochao, intitulée
Le Chinois de Montargis, sur les quais du Patis, à Montargis. 

 

PÈLERINAGE ROUGE
Aujourd'hui, Montargis bénéficie d'une attention particulière. « L'ambassadeur a réservé sa première visite à notre ville, témoigne Stéphane Poisson, chef de cabinet du maire. Nous avons également des partenariats privilégiés avec Changsha [capitale du Hunan]. » Pour satisfaire les touristes chinois, nombreux avant la pandémie, la ville a aménagé un circuit parcourant tous les lieux de mémoire. Cet épisode fondateur est pourtant vaguement connu des Chinois. Même Cai Hesen, assassiné en 1931, est réduit à un personnage secondaire dans les livres d'histoire. « Sans doute parce que Mao Zedong n'était pas à Montargis », suppose Madame Wang, amusée. Ce qui n'empêche pas les régulières demandes de délégations chinoises et d'associations d'étudiants pour assister à une conférence en ligne. Un pèlerinage toujours vivace, signe que Montargis est bien le berceau de la révolution communiste chinoise.

Article initialement publié dans le magazine Koï, numéro 21, mars-avril 2021


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