Asafumi Yamashita, le maraîcher japonais des chefs étoilés français

Par Mireille Jaccard
Photo de Alexandre Petzold

Le maraîcher Asafumi Yamashita cultive une cinquantaine de variétés de légumes japonais d’exception et n'approvisionne qu’une poignée de chefs à Paris.

Lorsque l’on observe Asafumi Yamashita arpenter les parcelles de son terrain, effleurer les feuilles d’un radis blanc daikon ou rester pensif devant une rangée de potirons kabocha, on reconnaît la démarche d’un homme amoureux
et respectueux de sa terre.

Aux murmures admiratifs qui entourent l’homme, dont le nom seul évoque l’excellence auprès des initiés, on imagine la révolution gustative qu’il a su insuffler dans les cuisines des grandes maisons parisiennes. « Il y a vingt ans, importer des graines depuis le Japon nécessitait des démarches fastidieuses et peu aisées. Il fallait remplir des formulaires comme pour le cannabis », explique-t-il, d’une voix teintée d’amusement.

 

Légume d'Asafumi Yamashita, maraîcher des chefs étoilés. 

 

Asafumi Yamashita fait preuve d’une sacrée personnalité nuancée par sa sensibilité et un humour espiègle dont la finesse lui permet de détourner les questions parfois trop directes, « à la française ». Lorsque certains curieux le questionnent sur son salaire il répond gagner « entre le Smic et le salaire du PDG d’Air France ». Le ton est donné. 

Mille et une vies
Avant de devenir cet artiste haute couture reconnu du milieu qui a mis à l’honneur une approche différente de la culture du légume, il a suivi un parcours peu ordinaire qui a aiguisé son sens de l’adaptation. Il découvre Paris en 1976, pour étudier l’art à l’École du Louvre en parallèle d’une carrière de boxeur. Il devient ensuite professeur de golf avant de suivre le chemin des affaires. En 1989, il s’installe à Chapet où il se consacre à la culture des bonsaïs. Une nuit, une centaine de ses précieux arbres miniatures sont cambriolés. Cette mésaventure le contraint à changer, encore une fois, de métier mais pas de pays dont il apprécie la réflexion et le pan culturel.

 

« Il y a chez Monsieur Yamashita un rapport philosophique et humble avec la nature. La qualité de ses produits est exceptionnelle », souligne le chef Pierre Gagnaire.

 

L’aventure maraîchère commence de façon imprévue ; une suite de concours de circonstances et de rencontres. Un ami restaurateur lui demande de faire pousser dans son jardin quelques légumes japonais introuvables en France. Malgré une terre argileuse, gorgée d’eau en hiver, peu ensoleillée l’été et les contraintes saisonnières du pays, le Tokyoïte se lance en autodidacte dans cette symphonie végétale. Il guide du bout de ses outils, comme le ferait un chef d’orchestre à l’aide de sa baguette en bois, en y mettant toute son âme, appliquant sa persévérance et sa rigueur.

Une démarche qui fait écho au Monozukuri no kokoro : soin que l’on met à la fabrication des choses. Il essaie, s’obstine et ne lâche pas une essence jusqu’à un résultat gustatif et esthétique parfait pour chacune des espèces au coeur de son potager de 3,5 hectares.

 

Dans le potager d'Asafumi Yamashita. 

 

Un panier de légumes en cadeau
Son travail minutieux et exigeant forge sa réputation, s’étendant rapidement dans le milieu des restaurants japonais à Paris, jusqu’au jour où un ami lui propose de venir visiter les cuisines du Pavillon Ledoyen (trois étoiles au guide Michelin). Comme le veut l’étiquette japonaise, Asafumi Yamashita apporte un panier rempli de quelques légumes destinés au chef qui les goûte sans tarder. « J’ai vu un éclat lumineux dans les yeux de Christian Le Squer » raconte-t-il. À la saison suivante, le maraîcher débutait une relation exclusive avec le chef étoilé.

Le potager d’Asafumi Yamashita est un fabuleux dialogue entre la France et le Japon, un grand écart et des pas chassés constants. « Nos cuisines respectives ont le point commun d’explorer aussi bien le cru que le cuit, ce qui permet d’élargir tout un champ des possibles gustatifs », souligne-t-il. « Mes légumes japonais issus de cette terre française s’enrichissent l’un de l’autre et ouvrent des perspectives infinies d’échanges créatifs. »

 

« Je livre en main propre les légumes dont j’estime qu’ils ont atteint leur maturité. Jamais avant, jamais après. »

 

Pour cette raison, il met un point d’honneur à sélectionner des chefs qui savent sublimer ses légumes sans les dénaturer, qui peuvent adapter leur carte selon l’arrivage et qui comprennent sa démarche. « Je livre en main propre les légumes dont j’estime qu’ils ont atteint leur maturité. Jamais avant, jamais après. » Pour lui, la relation de confiance établie entre experts est une évidence. Il s’agit d’un gage de complémentarité entre les deux professions en quête d’excellence. C’est là que se crée un partage des connaissances. Il balaie d’une main l’idée d’optimiser la surface de son sol. C’est une notion qui n’a pas sa place dans la conception de son travail. Pour lui, chaque légume est une pièce unique issue d’une production limitée de qualité.

 

Les légumes du maraîcher Asafumi Yamashita.

 

La crème de la crème
S’ils étaient sept grands chefs il y a quelques années, seuls trois obtiennent aujourd’hui ses faveurs et comptent dans son cercle intime : Christian Le Squer (George V), Pascal Barbot (L’Astrance) et Pierre Gagnaire. Ce dernier ne tarit pas d’éloges sur cette collaboration : « Quand il arrive avec ses cagettes, on sait d’avance que l’on va vivre un moment surprenant. Il y a chez Monsieur Yamashita un rapport philosophique et humble avec la nature. La qualité de ses produits est exceptionnelle. Nous imaginons ensemble certaines recettes afin de trouver une façon optimale de les déguster, de restituer les textures uniques ».

L’esprit d’Asafumi Yamashita fourmille d’idées grisantes et sa créativité est sans cesse stimulée. « Si dans la cuisine française on encourage l’expression personnelle d’un chef, explique Yamashita, dans la cuisine japonaise, l’approche entretenue est totalement antagoniste. Ce qui est recherché, c’est la répétition éternelle, le prolongement maîtrisé des gestes, des saveurs et d’un esthétisme. » C’est en partant de ce constat que son prochain projet prendra forme : un concours où les chefs japonais étoilés de la capitale pourront laisser place à leur créativité dans leur domaine d’expertise.

 

Article initialement publié dans le magazine Koï, numéro 6, juillet/août 2018


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