Une équipe de danse du lion, prête pour le Nouvel An lunaire

Par Sophie Kloetzli
Photo de Thomas Morel-Fort

Association historique de danse du lion, LDFA perpétue une tradition festive doublée d’une discipline sportive reconnue en Asie.

Quand on demande aux membres de l’équipe LDFA (Lion dance franco asiatique) ce qui les a attirés dans la danse du lion au départ, c’est toujours le même récit, ou presque, qui se déploie. Les souvenirs d’enfance émerveillés lors du défilé du Nouvel An lunaire, où cet art est un élément phare, reviennent sur toutes les lèvres. « Comme tous les jeunes du quartier [le 13e arrondissement de Paris, NDLR], nous suivions, mes frères et moi, les équipes de danse du lion lors de leurs démonstrations. Ils venaient dans les restaurants pour apporter bonheur et prospérité », raconte par exemple Alain Phy.

Les souvenirs d’enfance émerveillés lors du défilé du Nouvel An lunaire reviennent sur toutes les lèvres.

 

Entré dans l’association à l’âge de sept ans, il y a maintenant une trentaine d’années, il est aujourd’hui le trésorier de LDFA, où il donne aussi des cours et gère l’organisation et le planning. Il poursuit : « Un jour, mon frère Dara [le président actuel de l’association] est allé à leur rencontre et a tapé sur un tambour. Il a étonné tout le monde parce qu’il savait déjà en jouer sans qu’on ne lui ait montré. En suivant les danseurs et en écoutant, il avait appris par lui-même. Du jour au lendemain, maître Quach — qui donnait les cours à l’époque — l’a intégré à l’équipe. Nous avons suivi le pas avec mon autre frère. »

 

Equipe LDFA de danse du lion, à Paris.


Formé au kung-fu et taekwondo en Asie, Sifu Quach fait figure de pionnier. « Il est le premier à avoir importé la danse du lion en France », précise Alain Phy. Arrivé du Vietnam à la fin des années 1970, il fonde l’école Yeng Mow Tang en 1983 dans le 13e arrondissement de Paris, où il enseigne le kung-fu ainsi que la danse du lion. Un an plus tard, à l’occasion du Nouvel An lunaire, il participe avec sa jeune troupe aux toutes premières représentations de la discipline dans le quartier asiatique de la capitale.

Aujourd’hui, ces chorégraphies hautes en couleur évoluant au rythme des tambours sont devenues incontournables pendant cette période de l’année. Et la spectaculaire danse sur poteaux exécutée par l’équipe LDFA devant le magasin Tang Frères de l’avenue d’Ivry à la veille du Nouvel An, un moment clé des festivités.

LA FRENCH TOUCH
Nouvel An lunaire, mais aussi inaugurations de restaurants et de commerces, mariages et baptêmes... LDFA joue sur de nombreux tableaux, en ajoutant à chaque fois sa touche personnelle.

 

Equipe LDFA de danse du lion, à Paris.

 

« Pour les mariages, nous préparons une chorégraphie d’une dizaine de minutes, jusqu’à la remise d’une rose et de la bague », décrit Jordan Kauch, en expliquant que cette mise en scène est inspirée du « rituel de la salade ». Cette danse consiste pour le lion à attraper — sans les faire tomber — des laitues disposées en hauteur (le long d’un mur ou au bout d’une perche) en sautant.

« Il y a aussi un lancer de clémentines qui apporte bonheur et prospérité au couple », ajoute celui qui est entré dans l’association il y a plus de dix ans et participe désormais à la mise en place des entraînements. Alain Phy complète : « Le coup de la bague, personne d’autre ne le fait dans le monde. De manière générale, les chorégraphies que nous faisons en France n’existent pas en Asie ».

Depuis sa création, le style de l’école a évolué pour devenir « de plus en plus spectaculaire ».


Il faut dire que, depuis sa création, le style de l’école a évolué pour devenir « de plus en plus spectaculaire », s’éloignant des « danses plus traditionnelles au sol », révèle-t-il. Alors qu’à ses débuts, la pratique de la danse était intimement liée à celle du kung-fu, l’association historique a progressivement séparé ces deux disciplines jusqu’à sa scission en 2008 en deux entités distinctes : Shaolin Chowgar Quach (où maître Quach continue d’enseigner le kung-fu) et LDFA, qui réunit à l’heure actuelle une cinquantaine de membres dont une vingtaine — adolescents et jeunes adultes —, qui pratique activement ce sport. Pour la plupart d’origines asiatiques (chinoise, cambodgienne, vietnamienne...), ces sportifs, venus principalement du 13e, Vitry, Villejuif et Ivry-sur-Seine (94), s’entraînent trois fois par semaine, et davantage encore à l’approche du Nouvel An lunaire ou de compétitions.

« L’équipe reste jeune car beaucoup arrêtent lorsqu’ils ont une vie de famille ou un travail », note David Taing, le coordinateur des spectacles, lui-même entré dans la vie active récemment.

 

Equipe LDFA de danse du lion, à Paris.

Près de quarante ans après son introduction en France, cette danse traditionnelle millénaire venue d’Asie continue d’attirer les jeunes. La preuve avec cette équipe dynamique qui a le rire facile et où l’on sent poindre un esprit d’entraide. « C’est une activité où l’on a besoin de complicité pour que cela fonctionne, vu que nous travaillons en binômes », souligne Christine Hu. La jeune femme — l’une des rares de la bande — ajoute : « Je suis entrée dans l’école à onze ou douze ans. Ils sont comme mes frères et sœurs, nous avons grandi ensemble ».

D’ailleurs, le côté « familial » de l’association se vérifie aussi au sens propre puisque l’on trouve dans cette joyeuse troupe aux vestes rouges brodées de fil doré des frères et des cousins. Une grande famille dans laquelle chacun se doit d’être polyvalent tout en cultivant des affinités personnelles : musique, acrobatie, mise en mouvement de la tête du lion...

« Je suis entrée dans l’école à onze ou douze ans. Ils sont comme mes frères et sœurs, nous avons grandi ensemble »


Pour David Taing, c’est la dimension théâtrale qui lui procurait le plus de plaisir — avant qu’il ne se blesse et n’arrête la danse. « J’aimais beaucoup le fait de transmettre des émotions à travers le jeu de la tête, de montrer que le lion a peur ou est stressé, plus que les acrobaties et les sauts », confie-t-il.

 

Equipe LDFA de danse du lion, à Paris.

 

UN LION FRANÇAIS DANS LA COUR DES GRANDS
LDFA tire aussi sa notoriété de son palmarès : championne d’Europe à Newcastle (Grande-Bretagne) en 2010, l’école a déjà affronté à de nombreuses reprises des équipes en Asie. « Le but est vraiment d’amener les jeunes en compétition, c’est ce qui nous fait vibrer », appuie Alain Phy.

La dernière en date s’est soldée d’un beau succès pour la troupe parisienne qui s’est hissée dans le Top 10 lors de la compétition internationale de Malacca en Malaisie, en 2015. « C’était la première fois qu’une équipe européenne arrivait si loin ! s’enthousiasme Alex Ly, qui y était. Ce résultat nous a mis en confiance pour faire encore mieux la prochaine fois. » Le défi est de taille pour cette association constituée de bénévoles qui reverse l’intégralité des revenus générés par ses prestations dans l’organisation, de l’achat de matériel aux billets d’avion pour l’Asie. « Nous avons un bon niveau au sol mais sur les poteaux, c’est plus compliqué. Là-bas, c’est différent, c’est leur métier », explique Alain Phy en évoquant aussi la difficulté de trouver des jeunes suffisamment motivés pour s’entraîner quotidiennement pendant des mois avant un championnat. Sans oublier le danger que représente la danse du lion sur poteaux, qu’a récemment fait valoir la fracture ouverte d’un des membres du groupe.

« Nous sommes de plus en plus sollicités pour des prestations et des inaugurations en tous genres. Carrefour, Leclerc, des mairies, des palaces... »

Pour progresser, la troupe se rend régulièrement en Asie pour s’entraîner avec des équipes locales, notamment en Malaisie qui constitue le « berceau de la danse du lion », expose Alex Cheng, aux tambours. « Nous avons noué des liens d’amitié avec l’une d’elles, Meng kok, qui est aussi notre fournisseur, indique-t-il. L’objectif est de découvrir la danse du lion au-delà de ce qui se passe en France. »

Si cette discipline est loin d’avoir la même importance dans l’Hexagone, où il n’y a ni championnat officiel ni fédération (par manque d’adhérents), il estime que la reconnaissance de ce sport progresse. « Nous sommes de plus en plus sollicités pour des prestations et des inaugurations en tous genres. Au début, les démonstrations ne sortaient pas du 13e ou du cadre du Nouvel An lunaire, alors que nous sommes désormais demandés par des enseignes comme Carrefour, Leclerc, des mairies, des palaces... », se réjouit-il.

Durant l’année précédant l’épidémie de Covid-19, l’équipe s’était produite à l’occasion de l’annonce de la sortie de Raya et le dernier dragon (Disney), au Parc des Princes avant un match du Paris Saint-Germain et aussi au Qatar pour l’inauguration de l’hôtel Mandarin Oriental... À l’approche des fêtes de fin d’année, ses membres attendent avec impatience la levée du confinement pour réveiller le lion.

Article initialement publié dans le magazine Koï, numéro 20, janvier-février 2021.

 


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