Lav Diaz, le regard noir d’un cinéaste philippin

Par Tonglao S. Epinal
Photo de Bradley Liew

Le cinéaste philippin Lav Diaz est connu pour la durée inhabituelle de ses films et son regard sur les difficultés sociales et politiques de son pays.

Votre cinéma est-il un cinéma dicté par l’urgence ? Une réponse aux événements qui vous entourent, comme pour Death in the land of encantos, film de 9 heures, dont vous avez tourné les premières images à peine quelques jours après que le typhon Durian a frappé la région de Bicol aux Philippines ?

J’ai vécu dans la région en question pendant un an. Quand je suis arrivé, cinq jours après la catastrophe, tout était dévasté. J’étais juste venu pour témoigner de la situation et peut-être donner mes images aux agences de presse ou chaînes d’informations. Mais après quelques jours, je me suis dit qu’il valait peut-être mieux construire une histoire autour d’elles afin de rendre hommage à ce qu’était ce lieu, tout en préservant sa dignité. Donc, oui, c’est à la fois une réaction, mais pas uniquement : c’est avant tout une décision, une responsabilité, un devoir d’engagement, en ayant recours à ce médium qu’est le cinéma.

Vos films sont très conceptuels, souvent en noir et blanc et habituellement très long. Ne craignez-vous pas qu’ils soient perçus comme élitistes ?

Faudrait-il que les films durent moins de 2 heures par exemple ? L’art ne consiste pas à faire des compromis, à se plier à des conventions, des archétypes. En même temps, je suis convaincu que le cinéma peut changer la façon que nous avons de percevoir les choses. C’est le medium le plus puissant.

 

« Tant que la « masse » n’a pas vu mes films, tant que ceux-ci ne sont pas populaires, je suis en sécurité ! »

 


Vous faites des films sur les dysfonctionnements politiques de votre pays. N’avez-vous jamais rencontré de pressions ?

Pas jusqu’ici, car quelle que soit la reconnaissance internationale apportée par les festivals internationaux et les récompenses, je reste une curiosité plus qu’une réalité aux Philippines, un artiste parmi les intellectuels. Tant que la « masse » n’a pas vu mes films, tant que ceux-ci ne sont pas populaires, je suis en sécurité !

Vous avez dit un jour que les Philippines étaient le moins asiatique des pays asiatiques.
C’est une question de perception liée à la religion. En l’occurrence, les Philippines sont un pays où le catholicisme est embrassé par plus de 90% de la population. Or, c’est un concept occidental, qui remonte à la période coloniale [colonisation par les Espagnols, puis par les Américains, NDLR]. Beaucoup de gens perçoivent les Philippins comme « non-asiatiques » pour cette raison, à cause de l’influence américaine, qui est la dernière en date. C’est une perspective qui peut sembler étrange mais c’est la réalité.

 

Article initialement publié dans le magazine Koï, numéro 6, juillet/août 2018


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