Eux aussi prennent soin des soignants

Par Sophie Kloetzli

 
Souvent contraints de fermer les portes de leurs restaurants, quelques chefs sont restés aux fourneaux pour livrer des plats de qualité au personnel soignant qui se bat contre le Covid-19. Leur objectif : restaurer les corps et mettre du baume au cœur.
[Photo : Taku Sekine]

Lorsque les restaurants ont dû fermer le 15 mars, au début du confinement, les chefs se sont retrouvés un peu désœuvrés. Certains ont alors décidé de mettre leur savoir-faire au service des soignants, en première ligne face à l’épidémie. « Dès la première semaine de confinement, la question a commencé à se poser : est-ce qu’ils mangent à l’hôpital ? Que mangent-ils ? », rapporte Taku Sekine. Après la fermeture de ses deux enseignes parisiennes, Dersou et Cheval d’Or, ce chef nippon de haut vol rejoint rapidement La Résistance des chefs. Portée par Julien Sebbag, l’initiative réunit des chefs réputés, dont Guillaume Sanchez (Neso) et Alexia Duchêne (Datsha), des fournisseurs et des livreurs, pour fournir des plats cuisinés de qualité au personnel des hôpitaux qui travaillent jour et nuit.

« C’est important de bien manger »

Depuis quelques semaines, les élans de solidarité de ce type se sont multipliés. Lancé par un groupe d’entrepreneurs dans l’objectif de financer l’achat de matériel médical pour les médecins et infirmiers, #ProtègeTonSoignant a également mobilisé 25 restaurants, supermarchés et épiceries pour assurer la livraison de plus de 2 000 repas par jour, dont le japonais Shaki Shaki et le chinois Petit Bao.

Les initiatives sont parfois aussi locales et spontanées. En Bourgogne-Franche-Comté, Takashi Kinoshita, chef étoilé du Château de Courban, n’a tenu que quelques jours loin des fourneaux avant de proposer son aide. « On a préparé une quiche de jambon blanc, et une autre à la truite fumée. Le chef pâtissier a préparé sa spécialité : les choux à la crème et des meringues aux amandes, parce que c’est important de bien manger », a-t-il expliqué au micro de France Inter. Après avoir livré plus de 100 plateaux-repas au CHU de Dijon le 29 mars, Takashi Kinoshita reçoit des appels de ses confrères japonais du coin – Tomofumi Uchimura, qui officie au restaurant Stéphane Derbord, Keishi Sugimura, chef du restaurant étoilé Le Bénatonet Keigo Kimura, chef du restaurant étoilé L’Aspérule – pour organiser la livraison suivante, prévue une semaine plus tard.

Une journée et demie de travail

« Je passe les commandes et fixe le menu à partir des produits disponibles que les fournisseurs nous proposent », décrit Taku Sekine, dont les savoureux bento, banh mi et sandwichs au poulet ont déjà été livrés dans plusieurs hôpitaux parisiens (Bichat, Georges-Pompidou…) « Le plus compliqué est de réceptionner les produits car j’habite au cinquième étage sans ascenseur. Pour préparer les sandwichs, je suis descendu à pied pour aller chercher quarante baguettes, vingt kilos de légumes, six kilos de viande et les contenants, raconte-t-il. Pour cuisiner, ce n’est pas évident non plus : pour cuire trois kilos de lentilles, par exemple, je dois le faire en trois fois au lieu d’une fois au restaurant. Bref, pour quarante personnes, j’en ai pour une journée et demie, donc ma limite est de trois hôpitaux par semaine ».

À cela s’ajoute le risque de la contamination. « Ce type d’initiative n’a aucun sens si nous empoisonnons les soignants. Il faut rester très rigoureux et professionnels », souligne Taku Sekine. Dans le 7e arrondissement de Paris, la pâtisserie Mori Yoshida a également pris ses précautions pour livrer ses gourmandises à l’hôpital Necker, à deux pas de l’établissement : « Nous respectons évidemment les distances barrières. Le chef contrôle tous les jours les conditions physiques des employés et nous nous comportons correctement afin d’éviter la contamination. Comme nous ne connaissions par les contraintes des soignants, nous avons choisi les produits qui se gardaient un certain temps : nos cakes et nos macarons. »

Sur les réseaux sociaux, les soignants sont nombreux à avoir témoigné leur gratitude aux chefs mobilisés. « Cela me fait tellement chaud au cœur car je sens que je sers à quelque chose », souffle Taku Sekine.

Pour Bérangère Boucher, aux manettes du Nomikaï, un « izakaya à la française » bio et zéro déchet à Paris, ces élans de solidarité s’inscrivent « dans la continuité des valeurs portées par le restaurant ». Celui-ci fait partie de la communauté Écotable, un label de restauration durable qui a lancé une campagne de crowdfunding pour garantir la livraison de 500 repas quotidiens aux soignants. Au 8 avril, 10 000 plats avaient déjà été livrés dans des conditions garantissant la sécurité des coursiers (gants, masques et gel hydroalcoolique). « J’ai été obligée de fermer le restaurant, ajoute la cheffe, donc je suis contente de pouvoir continuer à cuisiner, mais aussi de faire vivre les producteurs d’Écotable ».


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